Quel devenir pour l’enseignement du dessin ancien ?

Face à des réalités matérielles de plus en plus difficiles, de nombreux médias1 ont fait un constat général alarmant : les enseignements à l’université en France tendent à se fragiliser au détriment des enseignant.e.s et, peut-être surtout des étudiant.e.s. Inévitablement touché par une économie qui témoigne des limites du capitalisme global, l’enseignement des sciences humaines, et plus particulièrement de l’histoire de l’art fait partie des domaines les moins dotés par le ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. 

Sans agrégation, la discipline évolue en électron libre face à ses sœurs et cousines des humanités. Les postes de maître.s.sses de conférence, profesesseur.e.s en histoire de l’art moderne sont de plus en plus rares, de plus en en plus difficiles à obtenir, et les enseignant.e.s-chercheur.ses accèdent de plus en plus tard (et aussi de moins en moins) à l’Habilitation à Diriger des Recherches. Par ailleurs, cette carence de professeur.e.s se trouve renforcée par des passerelles administratives (mise à disponibilité et détachement) qui, si elles permettent aux professeur.e.s de diversifier leurs carrières, ont pour conséquence de raréfier encore davantage le vivier d’enseignant.e.s disponibles pour les établissements de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. Autant d’éléments qui laissent redouter que les prochaines générations constituent des dents creuses dans la transmission des connaissances.

L’enseignement de l’histoire des arts graphiques fait émerger des problématiques inhérentes à sa nature qui peuvent être rappelées. C’est avant tout la matérialité des œuvres qui doit être comprise et de ce fait, il est nécessaire de voir des feuilles, pas seulement projetées dans une salle de cours ou sur reproduction dans les livres. Cela suggère qu’un tel enseignement doit s’accompagner de séminaires dans les cabinets d’arts graphiques — dont la France a la chance de regorger — ou bien dans les expositions temporaires. Malheureusement, peu de ces cabinets sont couplés avec des chaires en histoire de l’art à l’université ou des enseignements dédiés spécifiquement au dessin ancien. De plus, ces derniers temps, les espaces d’exposition temporaires du dessin ancien voient leur nombre diminuer au fur et à mesure des décisions institutionnelles. Tandis que le dessin est lié à toutes les pratiques artistiques (architecture, peinture, sculpture, estampe, objets d’art), au sens strict de la ligne tracée et au sens large de disegno, il est pourtant abordé comme un sujet de niche, ne faisant que rarement partie des troncs communs de l’enseignement supérieur et trop souvent considéré comme une simple spécialité. 

À propos de l’enseignement du dessin ancien

Les établissements proposant un enseignement en histoire des arts graphiques sont peu nombreux. L’École du Louvre propose cet enseignement comme une spécialité depuis sa création. Entre 2007 et 2017, Louis-Antoine Prat en dispensait les enseignements. De ces années de cours magistraux ont découlé trois volumes essentiels faisant découvrir l’histoire du dessin français du XVIIe au XIXe siècle2. Victor Hundsbuckler reprend cette année les cours de cette spécialité en proposant un programme consacré au dessin italien du XVIIe siècle, intitulé : Dessiner entre amis à Rome au XVIIe siècle : une émulation européenne. « Jeunesse ». Espérons que ces nouvelles initiatives constituent une source d’inspiration pour d’autres centres d’enseignements de l’histoire de l’art, fussent-ils privés ou publics.

À L’École Pratique des Hautes Études, l’enseignement dirigé depuis 2013 par Emmanuelle Brugerolles, anciennement conservatrice de la collection de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, a été repris en 2021 par Marie-Pierre Salé, conservatrice en chef au département des Arts graphiques du musée du Louvre, chargée des dessins du XIXe siècle. Cette dernière propose un programme autour de l’« Histoire matérielle des œuvres et histoire des techniques ».

La liste de ces formations continue en licence, proposant des enseignements de l’histoire des arts graphiques, est bien courte. Si quelques séminaires consacrent parfois leurs sujets au dessin ancien, la rareté de ces enseignements dans les cursus initiaux à Paris et surtout en dehors de la capitale supposent une carence dans la formation des historien.nes de l’art.  Les étudiant.e.s souhaitant poursuivre leurs études après le master dans un cursus doctoral peinent à trouver des enseignant.e.s habilités à diriger des recherches en France.

Comment transmettre    

Dans un souci de conservation et de transmission des connaissances de l’histoire des arts graphiques, il est intéressant de se demander quelles solutions pourraient pallier les différents problèmes évoqués. L’enseignement dans les cabinets d’arts graphiques confine nécessairement à l’intimité ; le nombre de visiteurs étant limité et les œuvres étant généralement de formats modestes. Cependant, il semble intéressant d’évoquer ici les nouvelles technologies (citons les photographies hautes définitions ) qui pourraient, non pas constituer un relais, mais bien impulser une initiation menant peut-être à un intérêt de la part des étudiant.e.s.

Sans nous leurrer sur les effectifs de notre spécialité, il semble crucial de réfléchir à la transmission de ces connaissances spécifiques aux futur.e.s professionnel.le.s des musées, de l’université et du marché. 

Au-delà du cadre institutionnel de l’université, l’apprentissage du dessin, dont les origines se trouvent dans l’intimité des cabinets des arts graphiques et la transmission orale, peut être renouvelé grâce aux rencontres. Il incombe à des initiatives de groupe, comme Bella Maniera, de faire se rencontrer les personnalités généreuses qui souhaitent partager à de plus jeunes générations leur connaissance.

Visite du cabinet des arts graphiques du musée des Beaux-Arts de Rouen, avec Bella Maniera, février 2019

  1. Tribune collective, « L’idée d’un service public de l’enseignement supérieur et de la recherche est abandonnée pour être remplacée par un système à l’américaine », Le Monde, en ligne, publié le 12 avril 2023, consulté le 10 octobre 2023, https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/04/12/l-idee-d-un-service-public-de-l-enseignement-superieur-et-de-la-recherche-est-abandonnee-pour-etre-remplacee-par-un-systeme-a-l-americaine_6169162_3232.html
    Soarig Le Nevé, « Une entrée dans la carrière universitaire toujours plus entravée », Le Monde, en ligne, publié le 10 août 2023, consulté le 10 octobre 2023, https://www.lemonde.fr/campus/article/2023/08/10/une-entree-dans-la-carriere-universitaire-toujours-plus-entravee_6185034_4401467.html
    Profs de fac, la vocation à l’épreuve, documentaire réalisé par Thomas Loubière, 2023, en ligne, mis en ligne le 5 juillet 2023, consulté le 10 octobre 2023, https://www.arte.tv/fr/videos/108561-000-A/profs-de-fac-la-vocation-a-l-epreuve/ ↩︎
  2. Prat L.-A., Le dessin français au XVIIe siècleParis, Louvre éditions, Somogy, 2013 ;  Le dessin français au XVIIIe siècle, Paris, Louvre éditions et Somogy, 2017 ; Le dessin français au XIXe siècle, Paris, Louvre éditions, Musée d’Orsay, Somogy, 2011.  ↩︎

Maëlyss Haddjeri et Axel Moulinier