Raphaël à Chantilly : le maître et ses élèves

L’exceptionnel fonds graphique du musée Condé de Chantilly compte plus de 4 000 feuilles, allant du XVe jusqu’au XIXe siècle. Le XVIe siècle est notamment représenté par les nombreux portraits dessinés de Jean et François Clouet et par les grands maîtres de la Renaissance italienne, tels que Bellini, Mantegna, Primatice, Parmigianino, Fra Bartolomeo, Raphaël et Michel-Ange. La toute récente attribution à Léonard de Vinci ou à son atelier du célèbre carton de la « Joconde Nue » a contribué à accroître la renommée du fonds d’arts graphiques de Chantilly, déjà considéré comme l’un des principaux de France. La collection peut également se prévaloir de feuilles de la main de Poussin, du Lorrain, de Watteau et de Carmontelle, auquel sera consacrée une exposition à partir du 5 septembre 2020. Le carnet de voyage de Delacroix au Maroc, dont les croquis et les aquarelles témoignent de l’influence que l’Orient a eue sur l’artiste français, constitue un autre grand chef-d’œuvre du fonds cantilien.

Nous devons cette collection extraordinaire aux goûts et à la politique d’acquisition du fondateur du musée Condé, Henri d’Orléans, duc d’Aumale (1822-1897). L’étude des sources fait toutefois ressortir une évidente préférence pour Raphaël, dont les œuvres conservées dans les musées et dans les églises constituaient des étapes obligatoires pendant les pérégrinations du duc.

La présence d’un nombre considérable de dessins de Raphaël et de son cercle a permis au musée de prendre toute sa part aux célébrations pour les 500 ans de la mort du grand maître italien. Avec ses trois tableaux autographes (Les Trois Grâces, La Madone de Lorette et La Vierge d’Orléans) et ses précieuses feuilles, le musée est en effet considéré comme l’une des institutions les plus importantes pour la connaissance de l’Urbinate ainsi que comme la deuxième collection des tableaux anciens en France, après le musée du Louvre.

Raffaello Sanzio, dit Raphaël, Les Trois Grâces, Huile sur bois, H. 0,170 m, L. 0, 176 m, Musée Condé, Chantilly.

L’exposition-hommage a été le prétexte pour analyser de nouveau les dessins, qui étaient restés loin des yeux des visiteurs depuis 1997, pour proposer de nouvelles attributions et pour montrer des dessins inédites. Les œuvres réunies par le duc d’Aumale, complétées par les prestigieux prêts du musée des Beaux-Arts de Lille, ont permis de réaliser une exposition couvrant l’entière carrière, florissante quoique brève, de Raphaël . Organisé de manière thématique et chronologique dans les cinq salles du Cabinet d’arts graphiques, le parcours se penche sur le début de sa formation en Ombrie, s’arrête sur les célèbres Madones de sa période florentine, avant de s’attarder sur sa gloire romaine et son héritage.

Raffaello Sanzio, dit Raphaël, Deux enfants nus montés sur des sangliers et jouant à la lance en présence de six autres enfants nus, pierre noire, charbon de bois, traces de stylet, contours piqués pour le transfert, deux fragments d’un carton fait de douze feuillets de papier assemblés, découpés irrégulièrement, fragment de gauche H. 0,540 m, L. 0,640 m, fragment de droite H. 0,525 m, L. 0,670 m, Musée Condé, Chantilly.

Après avoir appris les rudiments de la peinture à Urbino, dans l’atelier de son père Giovanni Santi, le jeune Raffaello Sanzio aurait formé son style sous l’influence de deux protagonistes de la scène artistique de l’Italie centrale, le Pérugin et Pinturicchio. Dans la première salle, l’immense carton fragmentaire qui nous accueille, représentant Deux enfants nus montés sur des sangliers et jouant à la lance en présence de six autres enfants nus, en serait la preuve. Le rapprochement avec l’une des feuilles de Pinturicchio, qui d’un côté témoigne de l’assimilation des motifs ombriens, démontre de l’autre une maîtrise précoce de la ligne et de la perspective chez Raphaël. C’est également dans cette salle que l’on peut observer un Saint Sébastien inédit, soigneusement esquissé au verso d’un dessin de l’atelier du Pérugin.

Raffaello Sanzio, dit Raphaël, La Vierge assise avec l’Enfant et le petit saint Jean dans un paysage, plume et encre brune, traces de stylet et de pierre noire, H. 0,229 m, L. 0,165 m, Musée Condé, Chantilly.

La deuxième salle est consacrée à la période florentine, lorsque Raphaël entre en contact avec les plus grands artistes de l’époque et la noblesse toscane. Elle s’ouvre avec l’emblème de cette exposition : La Vierge assise avec l’Enfant et le petit saint Jean dans un paysage, mieux connue comme la Belle Jardinière. Présentant toutes les caractéristiques des Madones raphaélesques, par sa fameuse structure pyramidale et sa savante dialectique des regards, cette œuvre, dont la paternité a été souvent débattue, a été rendue, à l’occasion de l’exposition, à Raphaël. Son habileté dans l’art du dessin est confirmée par la parfaite maîtrise des différentes techniques.

Raffaello Sanzio, dit Raphaël, Femme drapée, agenouillée, vue de trois quarts vers la gauche, la tête levée et les mains jointes ; homme, vu en buste, de trois quarts vers la gauche, le bras droit tendu, Recto : plume et encre brune, tracé préparatoire à la pierre noire, sur papier préparé, Verso : pierre noire et rehauts de blanc sur papier préparé, H. 0, 164 m, L. 0,118 m, Musée Condé, Chantilly.

La feuille présentant des études pour la Déposition Borghese (des doutes demeurent sur la destination des deux figures au verso) est aussi emblématique : d’un côté, des figures rapidement esquissées, prenant corps à partir des formes géométriques et, de l’autre, une tête exécutée à la pierre noire avec des rehauts de blanc, marquant l’expressivité et le réalisme du personnage. Les nouveautés introduites dans la Déposition, surtout en termes de traitement des détails et pathos, en font une œuvre charnière dans la carrière du maître, ouvrant la voie à la perfection de la période romaine.

Raffaello Sanzio, dit Raphaël, Étude pour la Dispute du Saint Sacrement : vingt clercs et ecclésiastiques discutant, plume et encre brune, lavis brun, rehauts de blanc, mise au carreau à la pierre noire, sur papier brun, traits d’encadrement à la plume et encre brune, H. 0,231 m, L. 0,405 m, Musée Condé, Chantilly.

La troisième salle réunit les études préparatoires aux grands décors romains. Appelé dans la Ville éternelle par le pape Jules II en 1508, le « divin pittore » y connut la gloire absolue. Submergé par les commandes, notamment celles du pape mais aussi du riche banquier siennois Agostino Chigi, Raphaël s’entoura de nombreux fidèles et de talentueux collaborateurs. Le regard est tout de suite attiré par les trois majestueux cartons avec les têtes d’Apôtres, d’après la tapisserie de la Remise de clés à saint Pierre du Vatican. L’Étude pour la Dispute du Saint Sacrement, profondément inspirée des compositions de Léonard de Vinci, remarquable pour l’harmonie et le dynamisme du groupe, est l’un des grands chefs-d’œuvre du fonds de Chantilly. Enfin, les sublimes études d’enfants de Lille permettent un rapprochement avec le tableau de La Madone de Lorette.

Raffaello Sanzio, dit Raphaël, La Madone de Lorette, Huile sur bois, H. 1,20 m, L. 0,90 m, Musée Condé, Chantilly​.

Après la mort de Raphaël, le niveau atteint par les peintres de son atelier, du calibre de Giulio Romano, Gianfrancesco Penni, Perino del Vaga, Polidoro da Caravaggio et Giovanni da Udine, assura, au moins en partie, l’immortalité de sa maniera. Les dessins exposés dans les deux dernières salles démontrent à quel point ses élèves parvinrent à développer un style totalement nouveau tout en gardant la matrice raphaélesque. À Giulio Romano est consacrée une salle entière. Premier disciple mais aussi ami intime de Raphaël, le peintre romain est surtout connu pour avoir conçu et décoré le colossal Palazzo Te à Mantoue. Les figures imposantes, majestueuses et aux contours arrondis que l’on peut observer dans la salle, sont des études pour (ou d’après) les fresques du palais.

L’exposition s’achève avec les sublimes feuilles de Polidoro da Caravaggio, connu notamment pour ses façades antiquisantes en chiaroscuro, et de Perino del Vaga. La plupart des études cantiliennes de ce dernier concernent la commande la plus importante de sa carrière : la demeure d’Andrea Doria à Gênes. Fasciné par les grotesques, ces décors qui venaient d’être découverts dans la Domus Aurea qui était à l’époque considérée comme une grotte, Perino en devint un spécialiste. Une prolifération des motifs végétaux, animaux, guirlandes, scènes mythologiques et fines architectures anime les projets de décor de plafond exposés à Chantilly. Polidoro et Perino Del Vaga rejoignirent la bottega de Raphaël sur le chantier des Loges Vaticanes. Ils quittèrent Rome après le sac de 1527 en assurant, ainsi, la diffusion des enseignements du maître sur tout le territoire italien.

Novella Franco

Le complément de Bella Maniera

Originaire de Viterbo, Novella Franco débute des études en Histoire de l’art à l’université de la Sapienza à Rome. Elle intègre ensuite l’École Louvre, où elle mène une recherche sur l’iconographie de Saint-Luc peignant la Vierge en Italie, durant la première moitié du XVIIe siècle. Elle se dirige ensuite vers l’étude de la réception de Raphaël en France, au XVIe et XVIIe siècles. Après une expérience au Cabinet d’expertise Turquin, elle obtient une bourse de la région du Latium et approfondit son étude sur l’oeuvre de Raphaël, au Musée Condé à Chantilly et au Scuderie del Quirinale à Rome. Auprès de Mathieu Deldicque, et à l’occasion des 500e anniversaire de la mort de Raphaël, elle travaille sur l’exposition Raphaël à Chantilly : le maître et ses élèves. Elle continue, aujourd’hui, dans le cadre d’un second Master, en Italie, des recherches sur Raphaël. Nous lui adressons tous nos vœux de réussite pour ses projets à venir !

En savoir plus

Le catalogue d’exposition : Raphaël à Chantilly – Le maître et ses élèves, Mathieu Deldicque, assisté de Novella Franco, éd. Faton – Musée Condé, 2020.

L’exposition ferme ses portes le Dimanche 30 août ! Profitez de ce week-end, pour la visiter !