Altdorfer est l’un des grands noms de la Renaissance allemande, dont la postérité a été mise à mal par l’éclat de l’œuvre de ses confrères Albrecht Dürer, Lucas Cranach et Hans Baldung Grien (qui a eu l’honneur d’une grande exposition au musée de Karlsruhe l’année dernière). Son art n’a pourtant rien à envier à ces grands maîtres. Le musée du Louvre a voulu le prouver à travers une exposition monographique dense, réunissant plus de 200 œuvres de l’artiste et de ses contemporains, l’occasion d’apprécier la force et l’originalité de son art aussi bien en peinture, qu’en gravure et en dessin.
Le musée du Louvre ne compte aucune peinture autographe d’Altdorfer et le cabinet des Arts graphiques ne peut se targuer que d’un seul dessin faisant l’unanimité. La collection Edmond de Rothschild complète l’apport du fonds historique du Louvre, avec quelques centaines gravures de sa main. Le parcours de l’exposition regroupe non seulement une jolie sélection d’oeuvres conservées au Louvre, mais également des pièces importantes provenant de l’Albertina, de quelques grands musées allemands ou encore des Offices.
Le mardi 20 octobre, lors de la visite Bella Maniera, nous étions accompagnés de deux des trois commissaires de l’exposition : Hélène Grollemund, chargée de collections de l’école allemande et Olivia Savatier Sjöholm, conservatrice, toutes deux au département des Arts graphiques du musée du Louvre. Elles nous ont guidés à travers les salles d’exposition de la rotonde Sully, qui ont été entièrement repensées et remodelées pour densifier l’accrochage.
Hélène Grollemund a commencé la visite en commentant la formation d’Altdorfer, encore aujourd’hui mystérieuse. Ses débuts sont évoqués par ses premières gravures, mises en parallèle avec ses inspirations : Dürer, Cranach, Mantegna… qui permettent de suivre la constitution du répertoire visuel de l’artiste.
Olivia Savatier a ensuite détaillé avec attention ses dessins dont la technique est si caractéristique, à l’encre noire et aux rehauts de gouache blanche sur papier préparé. On connaît aujourd’hui une cinquantaine de feuilles de ce type, notamment le dessin conservé au Louvre représentant Le Départ pour le sabbat, réalisé sur un papier préparé brun. On y voit des sorcières, thème très en vogue dans les milieux lettrés germaniques du début du XVIe siècle. Le dessin, encadré d’un trait à la plume, considéré comme une œuvre aboutie destinée à la vente, rend compte de l’existence d’un marché de l’art en plein essor, dans lequel Altdorfer s’ancre et diffuse son œuvre. Des copies d’élèves de son atelier ou de suiveurs, proches de sa manière, témoignent du succès de ses compositions et de leur large diffusion. Cet aspect est illustré par la réunion exceptionnelle de quatre dessins, conservés entre Dessau, Paris, Berlin et une collection particulière, représentant un même sujet, d’après une œuvre d’Altdorfer : Une femme franchissant, à cheval, la porte d’une ville.
L’inventivité d’Altdorfer s’accroît durant sa période de maturité, dans les années 1510, avec la série des 40 bois gravés de seulement 7 x 5 cm, sur le thème de la Chute et de la Rédemption de l’Homme. Le succès de cette représentation est immédiat. L’artiste use de son imagination et créé une image qui dépasse l’iconographie traditionnelle du sujet biblique. Son talent de graveur se retrouve, à une toute autre échelle, dans la section consacrée aux commandes de Maximilien Ier. L’empereur s’entoure de nombreux artistes et érudits pour inscrire son règne à la postérité, par le biais, notamment, de gravures et de « monuments de papier ». Présentée sous vitrine, l’imposante série de gravures du Cortège triomphal (vers 1512-1515) se déroule sur plusieurs mètres le long des murs de la salle. Cela nous permet de réaliser l’ampleur des créations impériales !
Le Livre de prières de l’empereur, trésor de la Bibliothèque municipale de Besançon, exposé pour la première fois à Paris, est présenté dans la même salle. Dans les marges, Altdorfer et son atelier ont fourni, en 1515, de précieux dessins à la plume et encre violette d’une grande finesse.
L’exposition se poursuit ensuite sur une autre facette de la personnalité d’Altdorfer : le collectionneur. L’artiste, qui n’est pas orfèvre de formation, apprécie et s’entoure de hanaps et de gobelets précieux. Son intérêt pour l’orfèvrerie se retrouve en gravure, aussi bien pour des motifs ornementaux que dans les projets de pièces entières, destinés aux orfèvres ou aux collectionneurs d’estampes. Ici aussi, Altdorfer se montre inventif, il mêle les répertoires décoratifs italiens et allemands, pour créer des pièces de grande originalité.
Dans une autre salle de l’exposition, Altdorfer est présenté comme un pionnier et un diffuseur du paysage autonome dans l’art occidental aussi bien en peinture, en gravure qu’en aquarelle. Ses paysages, composés avec soin, sont souvent reconnaissables à un épicéa aux branches tombantes, qui marque le premier plan de ses compositions. Des prêts de Munich, de Berlin et de Londres réunissent une partie de cette production, mise en comparaison avec des paysages de Wolf Huber et la Vue du val d’Arco de Dürer.
Ce goût pour l’observation de la Nature se retrouve dans le domaine de l’Architecture. Il dessine et grave avec précision des architectures, qui sont parfois destinées à décorer les fonds de ses peintures. Notons, en particulier, deux mystérieuses estampes de la synagogue de Ratisbonne qui montrent avec réalisme l’intérieur du lieu de culte. Les intentions d’Altdorfer, pour cette œuvre, restent inconnues : pur intérêt esthétique ou volonté de garder un témoignage de ce bâtiment voué à la destruction ? Dans tous les cas, Altdorfer joue de nouveau ici un rôle novateur, en créant, comme son contemporain, Wolf Huber, des dessins et des estampes d’architecture autonome.
La dernière salle présente le tableau choisi pour l’affiche de l’exposition : l’Adoration des Mages, conservée au Städel Museum de Francfort. Nos yeux ont été plus que séduits par la richesse des détails des vêtements et des pièces d’orfèvrerie. Un dessin exceptionnel, conservé aux Offices, permet de se rendre compte de l’ambitieux décor des bains, peint pour le comte Palatin du Rhin Johannes III, administrateur de l’évêché de Ratisbonne. La plus grande partie de ces fresques a aujourd’hui disparu, mais grâce à la précieuse feuille de Florence, il est possible de réintégrer les fragments du décor dans la composition générale d’origine. Si le thème des bains peut paraître étonnant pour un homme d’Église, il faudrait plutôt voir dans ces scènes une mise en garde contre le voyeurisme qui amène à la luxure.
Enfin, présenté en dernier lieu par les commissaires, le seul portrait peint, reconnu comme étant de la main d’Altdorfer, un Portrait de jeune femme, venu depuis le musée Thyssen-Bornemisza de Madrid, dévoile une dernière facette de l’artiste.
L’exposition se clôt sur une vidéo de quelques minutes analysant l’œuvre la plus célèbre de l’artiste, la Bataille d’Alexandre de l’Alte Pinakothek de Munich (malheureusement restée sur place), où de nombreux zooms dévoilent les détails de cette composition foisonnante, fuyant vers une perspective impossible sous un ciel onirique.
Tristan Fourmy
Le complément Bella Maniera
Titulaire d’une licence d’Histoire à l’Université de Nanterre, Tristan Fourmy est également diplômé du premier cycle de l’École du Louvre, où il s’est spécialisé dans l’Histoire du dessin en suivant le cours de Louis-Antoine Prat. Depuis, il a développé sa passion pour le dessin français du XVIIIe siècle ainsi que son intérêt pour les musées par le biais d’expériences au cabinet des arts graphiques du musée du Louvre, au Musée des Arts décoratifs et à la Fondation Custodia. Actuellement en second cycle de l’École du Louvre, il travaille sur la représentation d’Hercule au XVIIIe siècle en France. Nous lui souhaitons le meilleur pour ses futurs projets et pour ses travaux de recherche !
En savoir plus
Le catalogue de l’exposition : Albrecht Altdorfer. Maître de la Renaissance allemande, sous la dir. d’Hélène Grollemund, Olivia Savatier Sjöholm et Sérine Lepape, Louvre éditions, 2020, 384 p.