Les dessins préparatoires de Louis-Roland Trinquesse

Le corpus des œuvres de Louis-Roland Trinquesse (1746-1799) est plus étoffé qu’il n’y paraît et nous le montrerons en s’attardant sur les dessins que nous pouvons relier à son œuvre peint. Trinquesse évolue au sein des réseaux artistiques parisiens qui se développent hors de l’Académie royale de peinture et de sculpture, dans le dernier tiers du XVIIIe siècle. Fils d’un couple de bourgeois de Paris, Trinquesse commence son parcours comme élève à l’Académie. En dépit de quelques succès aux concours des Prix de quartiers à la fin de la décennie 1770, l’artiste semble se détourner de la voie classique qui aurait pu le mener à Rome pour y étudier l’Antiquité et les maîtres italiens. Il s’éloigne de la peinture d’histoire et se montre davantage sensible à des thèmes plus intimes et contemporains, à l’instar de Louis-Léopold Boilly (1761-1845) ou Marguerite Gérard (1761-1837). 

La vie de Trinquesse évoque celle de Jean-Honoré Fragonard, qui a abandonné une carrière à l’Académie pour se tourner vers des commanditaires privés souvent issus du monde des fermiers généraux. Ces amateurs constituent alors des collections d’œuvres d’art et mettent au goût du jour les peintures du Siècle d’or hollandais. Trinquesse contribue à cet attrait en produisant des scènes de genre à côté des commandes de portraits de l’aristocratie et de la bourgeoisie.

Si nous identifions aujourd’hui plus d’une soixantaine de peintures de la main de Trinquesse, elles restent davantage confidentielles en comparaison avec son œuvre graphique. La récurrence de ses dessins sur le marché explique en partie ce phénomène. Un corpus de près de 175 dessins a été établi. Il reflète les sujets de prédilection de l’artiste sans toutefois se rattacher aisément à son œuvre peint. Un premier constat surprend : il ne semble pas exister, sauf quelques cas particuliers, de dessins préparatoires à ces nombreux portraits peints en buste ou en pied (fig. 1). Trinquesse établissait sans doute sa composition directement sur la toile, sans passer par un travail graphique intermédiaire. Les portraits en médaillon à la sanguine sont toujours des œuvres en soi, exécutés en quelques heures dans le cadre d’une commande (fig. 2). Leur degré de finition permet néanmoins de les traduire aisément en gravure au burin. Nous en connaissons une vingtaine, certaines documentant des originaux disparus.

En dehors des portraits, les liens peinture-dessin sont plus manifestes dans ses scènes de genre qui demandent un travail de composition plus élaboré en amont. À l’image de nombreux artistes avant lui, dont un des plus emblématiques reste Antoine Watteau, Trinquesse s’est constitué un véritable répertoire d’attitudes en dessinant inlassablement des jeunes femmes dans des poses variées, seules ou à deux, et plus rarement quelques études de jeunes hommes. L’artiste réutilise ces modèles dans ses tableaux et l’usage des contre-épreuves, fréquente durant sa carrière, démultiplie encore la variété des poses. Cette approche permet de nuancer la conclusion trop rapide qui consistait à voir dans ses jeunes filles à la sanguine de simples dessins autonomes. 

Fig. 3 Un intérieur avec une dame, sa femme de chambre et un gentilhomme, 1776, huile sur toile, Hartford, Wadsworth Atheneum, The Ella Gallup Sumner and Mary Catlin Sumner Collection Fund, inv. 2006.20.1.

Un tableau du Wadsworth Atheneum à Hartford permet de comprendre la façon de procéder de Trinquesse (fig. 3). La toile met en scène trois jeunes gens dans un luxueux intérieur néoclassique. La figure féminine se coiffant est reprise d’une sanguine du musée de Picardie (fig. 4). Nous retrouvons la table de toilette et le modèle campé dans une position similaire, seule la modeste chaise d’origine a été remplacée par un fauteuil en cabriolet en bois doré. Malheureusement, nous ne connaissons pas les autres feuilles qui ont servi à l’artiste pour assembler ses figures. Certains dessins évoquent simplement des attitudes proches, tel le jeune homme courtisant son amie dans L’Entretien amoureux (fig. 5)En revanche, Trinquesse ne semble pas avoir eu recours à des dessins de composition générale. 

Parfois, quelques études plus travaillées soulèvent la question des œuvres disparues, comme Une jeune femme et un jeune homme debout, tournés vers la droite (fig. 6). Les deux figures pourraient aisément s’inscrire dans un tableau et une rare étude de drapé passée par la galerie Prouté en 2008 semble conforter cette hypothèse (fig.7). Trinquesse se concentre uniquement sur les jeux d’ombre et de lumière en jouant sur la sanguine et les rehauts de craie blanche en vue de l’exécution peinte.

Enfin, le domaine du paysage, encore mal connu dans l’œuvre de Trinquesse, reste le seul exemple concret d’une filiation complète entre un dessin et une peinture. Le Rijksmuseum d’Amsterdam conserve un rare dessin des jardins du château de Saint-Cloud sur papier bleu à la manière d’Oudry quelques décennies plus tôt (fig. 8). La feuille renvoie directement à un tableau non localisé reprenant le cadrage mais en modifiant quelque peu les perspectives et en ajoutant à la figure du dessinateur solitaire des compagnes et un couple passant près d’eux (fig. 9).

Ces quelques exemples tirés du corpus de Trinquesse offrent une première vision de la diversité de son œuvre graphique. Les angles d’étude sont nombreux : la large place accordée à la contre-épreuve, l’utilisation rare de la pierre noire et sans oublier les dessins mentionnés et connus aujourd’hui seulement par leur titre ou description. Les catalogues de vente du XXe siècle mentionnent de nombreuses feuilles encore inédites, dont son autoportrait, et qui nous permettront sans doute un jour d’éclairer certaines zones d’ombres.

Tristan Fourmy

Tristan Fourmy prépare actuellement le concours de conservateur du patrimoine. Après avoir validé le premier cycle de l’École du Louvre et une licence d’Histoire à Nanterre-Université, il s’est orienté vers le XVIIIsiècle français. Un premier mémoire sur la figure d’Hercule de Louis XV à Napoléon Ier l’a mené vers un second mémoire sur le peintre Louis-Roland Trinquesse, dont il a rassemblé un premier catalogue raisonné. 

Tristan.fourmy@hotmail.fr