« Jambes deçà, jambes delà » au musée Cognacq-Jay, à la découverte de L’Empire des sens

Alors que la réouverture des musées se fait attendre et tandis que nous travaillons à la reprise prochaine de nos activités, nous vous proposons en avant-première dans cet article un petit tour de l’exposition actuellement accrochée au musée Cognacq-Jay : L’Empire des sens, de François Boucher à Jean-Baptiste Greuze. Pour marquer dignement le 250e anniversaire de la mort de François Boucher, le musée propose une exposition qui interroge toutes les formes de l’Amour, de l’objet du désir à son aspect le plus licencieux. Avec plus d’une centaine d’œuvres exposées, les commissaires explorent toute la sémantique du désir dans un siècle marqué par l’émergence d’une littérature érotique. Peintures, dessins et estampes sont convoqués, l’occasion pour nous de revenir sur quelques-unes des plus belles feuilles de l’exposition.

Antoine Watteau, Femme nue ôtant sa chemise, Londres, The British Museum, inv. 1910.0212.99

Parmi les nombreux dessins exposés, la Femme nue ôtant sa chemise d’Antoine Watteau accueille le visiteur dans une première salle dédiée à la naissance du plaisir, autour de la femme vue comme objet du désir. Vraisemblablement située vers 1717-1719, cette feuille représente une jeune femme occupée à ôter sa chemise et souriant au spectateur qu’elle fixe du regard. Comme à son habitude, Watteau use des trois crayons dans une technique particulièrement raffinée, allant jusqu’à rehausser de blanc la chemise de la jeune femme et ajouter de légers traits de sanguine pour marquer les seins et la bouche, renforçant ainsi la charge sensuelle de son dessin. Louis-Antoine Prat, dans la notice du catalogue, fait le lien entre cette feuille et les « académies particulières » auxquelles Watteau se livrait pour exécuter ses dessins d’après le modèle nu féminin, dont la pose à l’Académie était interdite tout au long du XVIIIe siècle. Conservée au British Museum, cette feuille est passée par la prestigieuse collection du comte Carl Gustav Tessin qui n’a pas manqué d’annoter la feuille d’un « oui », confirmant l’attribution induite par l’inscription au graphite en bas, à droite.


François Boucher, Femme allongée vue de dos, dit Le Sommeil, Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts, inv. EBA n°591.

Dans la lignée de Watteau, François Boucher va sans doute être l’un des maîtres les plus importants de cet art sensuel. Ses nombreuses jeunes femmes, tantôt divinités, tantôt bergères, qu’il décline en d’innombrables dessins constituent presque un genre nouveau. La jeune femme allongée vue de dos, dit Le Sommeil constitue un surprenant exemple de cette production. Étendu sur un épais oreiller, le modèle s’offre au regard du spectateur qui « risque alors de céder au trouble plaisir du voyeurisme » (Georges Brunel). La facture moelleuse de Boucher, les abondants rehauts de craie blanche participent à la sensualité de cette feuille qui correspond pour ainsi dire à un véritable « portrait de fesses ». Le grand rideau suspendu dans le fond ne sert qu’à renforcer la théâtralité de la pose alanguie de cette jeune femme dont le minois se devine subtilement.


Jean-Baptiste Greuze, Le Bain de Diane, collection particulière.
Jean-Baptiste Greuze, La Volupté, collection particulière.

Tout au long du XVIIIe siècle, la mythologie constitue un prétexte extraordinaire pour la représentation du nu féminin. Les amours des dieux sont autant d’occasions pour dévoiler les nudités et font preuve d’une grande sensualité. Le grand dessin de Jean-Baptiste Greuze représentant Le Bain de Diane offre aux visiteurs la surprise d’un trait extrêmement libre. Dans une composition ambitieuse par ses dimensions, l’artiste traite un sujet mythologique, rare dans son œuvre, où il joue sur l’enchevêtrement des corps. Au centre de la feuille, la déesse semble s’abandonner au plaisir au milieu de ses compagnes et d’un amour au bas, à droite. Comme à son habitude, Greuze construit sa composition par une légère esquisse à la pierre noire qu’il vient repasser à la plume et encre brune dans une écriture particulièrement dynamique. La sensualité de Greuze s’exprime également dans un autre dessin, qui voisine avec une version peinte, où l’artiste représente la Volupté, dont les traits sont peut-être empruntés à son épouse, Anne-Gabrielle Babuty, qu’il va portraiturer à de très nombreuses reprises jusqu’à leur divorce en 1793.


Toute une salle de l’exposition est dédiée à François Boucher et notamment à son Odalisque brune qui constitue sans doute l’une des créations les plus érotiques du siècle. La charge sensuelle de cette peinture est renforcée par l’inspiration orientale du sujet qui évoquait pour les contemporains un imaginaire hautement voluptueux. Quelques années plus tard, le peintre représente une autre jeune femme en odalisque que la critique a nommée l’Odalisque blonde pour la différencier de la première et qui représente vraisemblablement la célèbre Marie-Louise O’Murphy, maîtresse de Louis XV. Si les deux versions connues du tableau n’ont pu faire le voyage jusqu’à Paris, le musée présente la célèbre étude au pastel qui reprend le pied droit de l’une de ces Odalisques. Perdu dans « son écrin de tissus luxueux », pour reprendre les mots de Françoise Joulie dans le catalogue de l’exposition, ce pied surprend tant par l’audace du cadrage que par sa sensualité qui semble résumer à lui seul tout l’érotisme de ce siècle.

François Boucher, Étude de pied, Paris, musée Carnavalet

Pour préparer votre visite, nous vous invitons à découvrir le catalogue de l’exposition sous la direction d’Annick Lemoine ainsi que des enregistrements sur la littérature libertine du siècle des Lumières.

Découvrez aussi le dernier ouvrage de Guillaume Faroult : L’amour peintre : l’imagerie érotique en France au XVIIIe siècle.

Commissariat

  • Annick Lemoine, directrice du musée Cognacq-Jay assistée de
  • Sixtine de Saint-Léger

Comité scientifique

  • Guillaume Faroult, conservateur en chef, en charge des peintures françaises XVIIIe siècle et peintures britanniques et américaines, musée du Louvre.
  • Françoise Joulie, historienne de l’art.
  • Alastair Laing, conservateur honoraire au National Trust, Londres.