C’est ma première exposition visitée en 2015 et je sais d’ores et déjà qu’il sera difficile d’en découvrir d’aussi belle qualité. [J’ai adoré !!! C’était tellement parfait… Je ne savais plus où donner des yeux, avec des montées d’adrénaline tellement je m’amusais de salle en salle] Car la rétrospective organisée au Metropolitan Museum of Art par Elizabeth Cleland responsable des arts décoratifs, Maryan W. Ainsworth pour les peintures, Stijn Alsteens et Nadine M. Orenstein pour les dessins et estampes – soit une large équipe de conservateurs – sur Pieter Coecke van Aelst (1502–1550) était majeure et magistrale : des oeuvres somptueuses et rares, un parcours aussi fluide qu’intelligent.
Imaginez 19 tapisseries collectionnées par Charles Quint, François Ier, Henry VIII ou encore Cosme de Medicis, entourées de quelques peintures (dont un immense triptyque), des estampes (magnifiques gravures sur bois) et plus de 30 dessins !
Le catalogue d’exposition, qui pèse certainement ses 4 kilos d’essais et de notices très détaillées, constitue avec l’édition d’automne de la revue Master Drawings la dernière et indispensable référence à tout chercheur abordant l’art de Pieter Coecke ou celui de la tapisserie au XVIe siècle.
L’exposition satisfaisait ce chercheur, mais elle semblait plutôt avoir été pensée pour le visiteur le plus fréquemment présent dans les musées. Ce non spécialiste a probablement apprécié la réunion de superbes tapisseries mises en regard avec les dessins préparatoires présentés sur des pupitres aux vitres anti-reflet, la lecture des panneaux de présentation de section aussi clairs que les cartels en dépit de la complexité des informations délivrées. Ainsi, on se rend compte de la somptuosité et du gigantisme des décors princiers au XVIIIe, tout en découvrant des méthodes d’ateliers.
La salle inaugurant le parcours donnait le ton en reproduisant le détail d’un dessin coupé, dont la composition se prolongeait sur une tapisserie. Séduisant et didactique malgré soi !
L’oeuvre de Pieter Coecke s’étend sur 50 ans et touche à de nombreux domaines : peintures de chevalet, vitraux, tapisseries, gravures et traités d’architecture. Mais elle demeure parcellaire et difficile à voir, puisque les nombreux dessins qui témoignent de la fécondité de sa créativité comme de l’ampleur de son activité ne sont pas tous de sa main. Les séries de tapisseries qui ont été dispersées, sont peu accessibles une fois entreposées dans les réserves. Enfin, trop d’oeuvres ont disparues ou ont été détruites.
L’exposition a été l’occasion de restaurer de nombreuses tapisseries et dessins. Au sujet de ces derniers, le conservateur des dessins nordiques du Met, Stjin Alsteens, évoque dans un article paru sur le blog du musée les choix et la coopération salutaire entre les musées.
C’est à travers le dessin surtout que l’on découvre la répartition du travail de Coecke avec ses collaborateurs au sein de son atelier. Les tapisseries, tableaux et gravures viennent illustrer les sophistications de l’art de ce flamand attentif aux innovations de Raphaël (composition et monumentalité) qui hérite de la finesse d’observation et de description des matières si particulières aux artistes nordiques.
Je vous soumets ma selection de dessins, sachant que toutes les oeuvres exposées sont visibles sur ce lien, puisque le Met propose de nombreux documents utiles dont la liste se trouve au bas de cette page.
PREMIERS DESSINS. La première section s’appuyait sur le témoignage de Karel van Mander publié dans Le livre des peintres, notamment son apprentissage à Anvers de son beau-père Jans Mertens van Dornicke, avant de peut-être devenir un jeune collaborateur de Bernard van Orley (vers 1492–1541/42).
Actuellement, l’oeuvre est attribuée au “cercle de Pieter Coecke”, après quelques va-et-vient entre l’artiste et son modèle Van Orley.
LA VIE DE SAINT PAUL. Une section consacrée à la première grande commande d’une série de tapisseries, dont l’origine reste à découvrir. La dette envers Les Actes des apôtres de Raphaël qui avaient été tissés à Bruxelles vers 1525 est manifeste sur cette Vie de saint Paul, mais à 27 ans, tout est pardonné !
Exposés côte-à-côte et face à la tapisserie représentant l’épisode de la Conversion de saint Paul, cette feuille fixant la composition et le fragment (si grand) du carton ont ravi mon regard !
LES VOYAGES DE COECKE. En 1533, Coecke fait partie des rares artistes à traverser l’Italie pour se rendre à Constantinople, avant que les relations entre les habsbourgeois et ottomans ne se gâtent. Il en résulte 4m50 d’une frise de gravures sur bois publiée de manière posthume.
LES SEPT PECHES CAPITAUX. Cette superbe série de tapisseries, à l’iconographie plutôt atypique et dont les dessins furent réalisés au retour du voyage en Orient, est un nouveau succès pour Coecke. Les 7 tapisseries relevant de différents tissages étaient exposées ensemble à mon plus grand plaisir, avec le document rédigé en français précisant l’iconographie : une chance inouïe pour les spécialistes !
Comme j’ai eu la chance de travailler deux ans à l’Ensba, cette feuille a retenu mon attention, en particulier la marque du célèbre collectionneur Jean Masson. Puis, c’est la seule feuille liée à la série qui a survécu.
HISTOIRES ET HEROS. Le maniérisme de Coecke se développe sur de nombreux media durant les décennies 1530 et 1540. En 1537, il est nommé doyen de la Guilde des peintres d’Anvers et continue de créer des tapisseries destinées à la vente, en s’associant à des marchands et des maîtres-lissiers, sans attendre l’arrivée de commandes. On y découvre la série de tapisseries sur l’Histoire de Josué et l’Histoire d’Abraham.
A la complexité spatiale et narrative de cette feuille, s’ajoute la dextérité technique jusque dans les accents de lavis gris pour souligner les raccourcis. Les lignes, qui sont en fait un alignement de petits traits, sont assez caractéristiques de la manière “granulée” de la fin des années 1530 selon Stjin Alsteens.
C’est un dessin exceptionnel par sa qualité de conservation et sa forme ! Les deux faces sont couvertes de compositions pour un triptyque perdu ou jamais exécuté.
Préparatoire à un vitrail installé dans la cathédrale d’Anvers et commandé par la guilde des marchands, ce dessin était exposé à côté de son reçu de paiement.
LES DERNIERES ANNEES. A la tête de l’atelier le plus vaste d’Anvers, Coecke, dont l’influence auprès des artistes comme le succès auprès des clients ne se dément pas, étend sa production à la traduction et la publication de traités d’architectures de Vitruve et Sebastiano Serlio. Il continue de dessiner des compositions destinées à être tissées, comme l’Histoire de Vertumne et Pomone.
A priori, je m’attendais à apprécier l’exposition parce que j’avais la certitude d’y voir des dessins aussi nombreux que rares, sans oublier les splendides tapisseries.
A posteriori, j’ai aimé l’inventivité des compositions de Coecke, mais la diversité de sa production force la comparaison avec Jean Cousin que je trouve plus élégant. C’est certainement chipoter “à la française”, puisque les oeuvres ont fait mon bonheur et l’exposition continue d’être un modèle à suivre mêlant plaisir et savoir, sans compter la richesse du catalogue !
Grand Design: Pieter Coecke van Aelst and Renaissance Tapestry
New York, Metroplitain Museum of Art : exposition du 8 octobre 2014 au 11 janvier 2015
avec son catalogue, ses contributions dans Master Drawings, son site internet
ses articles sur le blog du Met dont le “Four Drawings by Coecke: Before and After” de Stjin Alsteens. Dans “The Clock Strikes Midnight for Grand Design” par Elizabeth Cleland, vous pourrez voir quelques images des salles. Puis lire la très intéressante interview de Maryan Ainsworth sur les panneaux peints de Coecke.
[article publié avant la transformation du blog Bella Maniera en association]