Franz Ludwig Catel : un peintre romantique dans la Calabre napoléonienne

Au cœur de la Vallée aux loups, dans les salons feutrés de la maison de Chateaubriand à Châtenay-Malabry, une quarantaine de dessins attendent le visiteur. Ils ont été exécutés par Franz Ludwig Catel entre mai et juillet 1812 lorsqu’il voyage en Italie du sud accompagné par Louis-Aubin Millin et Astolphe de Custine. Ces feuilles constituent une porte d’entrée exceptionnelle sur l’une des régions italiennes sans doute les moins connues du public français : la Calabre.

Longtemps considérée comme une terre de brigands, elle échappe aux nombreux voyageurs du Grand Tour qui n’osent s’aventurer au-delà de Naples et de Pompéi. À la fin du XVIIIe siècle, le roi de Naples et de Sicile, Ferdinand IV, fuit la capitale parthénopéenne pour la Sicile où il se réfugie sous la protection du roi d’Angleterre. Le royaume de Naples échoit alors à Joseph, le frère de Napoléon, puis à son beau-frère, Joachim Murat, et sa sœur, Caroline, qui insufflent une politique réformatrice sans précédent, participant à rendre les routes de Calabre plus sûres aux voyageurs.

Franz Ludwig Catel (1778-1856), Traversée de l’estuaire du fleuve Savuto, 1er juin 1812, crayon, plume, lavis d’encre brune et sépia – 56,7 x 87cm, Paris, Bibliothèque nationale de France

C’est dans ce contexte plus propice aux voyages que le conservateur du cabinet des médailles de la bibliothèque nationale, Aubin-Louis Millin, se rend en Italie entre 1811 et 1813. Pendant son séjour, il est chargé d’une mission financée par le ministre de l’Intérieur pour vérifier l’état de conservation des différents monuments constituant le grand empire napoléonien. En Italie, il rencontre le peintre prussien, Franz Ludwig Catel, qu’il embauche pour se rendre dans le royaume de Naples. Le jeune artiste exécute pas moins de cent soixante feuilles en deux mois, toutes marquées par une exactitude remarquable. La précision avec laquelle les différents sites sont représentés et la quantité de feuilles dessinées incitent les commissaires de l’exposition à penser que Catel s’est servi d’une chambre claire (ou camera lucida) pour exécuter ses dessins. Comme le rappelle Corinne Le Bitouzé dans le catalogue de l’exposition, cet appareil permet au dessinateur de voir « à la fois le sujet à reproduire et sa feuille de papier, sur laquelle il peut suivre avec son crayon les contours de l’image virtuelle ainsi formée ».

Schéma de la camera lucida et de son utilisation par un artiste, Londres 1830

Les dessins exécutés par Catel sont pour la plupart rapidement esquissés, mais il prend le temps de conférer à d’autres un aspect plus fini, utilisant parfois un lavis d’encre brune comme pour sa vue de Paestum. Ses feuilles rehaussées à l’aquarelle possèdent ce même charme, plus difficilement perceptible dans les dessins aux traits, mais il demeure un certain pittoresque qui témoigne déjà d’une sensibilité romantique.

Franz Ludwig Catel (1778-1856), Les temples d’Héra et de Neptune à Paestum, 1812, crayon, plume, lavis d’encre brune et sépia – 56,7 x 87cm, Paris, Bibliothèque nationale de France

Si l’exposition de ces dessins constitue déjà un événement, Gennaro Toscano et Corinne Le Bitouzé ont profité de l’occasion pour publier in extenso le journal d’Aubin-Louis Millin en Italie du Sud, de Naples à Reggio de Calabre, accompagné de l’ensemble des dessins exécutés par Catel lors de ce séjour. Agrémenté d’une introduction et de plusieurs essais, le texte de Millin est largement annoté, permettant au lecteur de se repérer dans une histoire et une topographie complexe. Les renvois aux dessins de Catel sont particulièrement agréables et font goûter au lecteur la justesse des commentaires de l’auteur. La vue de la côte tyrrhénienne, des îles Éoliennes et de la Sicile depuis Mileto fait l’objet d’une description enchantée par celui qui n’avait jamais séjourné hors de France avant son voyage d’Italie. Millin décrit aussi longuement la côte de Palmi à Scilla dans une prose simple, mais particulièrement évocatrice :

« Cette disposition est du plus gracieux effet et toutes ces côtes sont ravissantes. […] L’esprit, en regardant, est occupé du souvenir, plongé dans la méditation que tant de phénomènes physiques font naître, livré à des réflexions qui le tiennent comme sans mouvement, l’oeil fixé sur ces beaux rivages qu’il craint de perdre un moment de vue » (p. 214). »

Premiers voyageurs à effectuer un voyage aussi long dans cette partie de la Péninsule, Aubin-Louis Millin et ses compagnons, Catel et de Custine, découvrent des paysages arides et dévastés par le grand tremblement de terre qui toucha la Calabre en 1783. La végétation luxuriante marque toutefois les voyageurs peu habitués à ces essences exotiques à tel point que Millin parle d’un « paradis continuel » (p. 224) tandis que le dessinateur n’omet pas de faire figurer d’imposantes aloés, comme une indéniable marque d’exotisme.

Franz Ludwig Catel (1778-1856), Scilla, vue du nord, 10-12 juin 1812, crayon, plume, lavis d’encre brune et sépia – 56,7 x 87cm, Paris, Bibliothèque nationale de France

Informations pratiques : Franz-Ludwig Catel, un peintre romantique dans la Calabre napoléonienne, Châtenay-Malabry, maison de Chateaubriand, 18 septembre-19 décembre 2021.

Pour aller plus loin : Corinne Le Bitouzé et Gennaro Toscano, A travers la Calabre napoléonienne. Journal de voyage d’Aubin-Louis Milin. Dessins de Franz Ludwig Catel, Co-édition Bibliothèque nationale de France/Le Passage, 2021, 352 p. (journal) et 200 p. (dessins), 45 €.