Bartholomeus Breenbergh (1598-1657) est aujourd’hui célèbre pour ses magnifiques dessins de paysages réalisés à la plume et au lavis. Les collectionneurs admirent sa sensibilité à rendre les effets lumineux les plus subtils. Originaire de Deventer, l’artiste s’installe à Rome entre 1619 et 1633 et durant ces années, il a pu travailler pour les grandes familles italiennes.
Une fois rentré à Amsterdam, il se consacre pendant presque 25 ans à la peinture religieuse et mythologique. Ses paysages dessinés conservés dans des livres d’esquisses lui servent pour composer les arrières-plans de ses peintures et on y découvre les montagnes et les villages isolés juchés sur des rochers escarpés caractéristiques du Latium.
Ce dessin mesure 27 sur 21 cm. Il est entièrement réalisé à la sanguine – y compris le monogramme « BB » – et date de la période hollandaise de Breenbergh. Les différents effets que cette technique peut produire sont ici admirablement bien rendus.
L’artiste a représenté Tobie et l’ange. Ce sujet biblique a intéressé Breenbergh à plusieurs reprises sans que le dessin puisse être mis en relation avec une composition connue. Le Livre de Tobie est très prisé des calvinistes car, d’une façon exemplaire, il relate que celui qui a confiance en Dieu est pleinement récompensé. Breenbergh oppose à la représentation tranquille et statique de l’ange, incarnation du principe divin, les mouvements brusques et agités de Tobie qui part à la recherche d’un remède pour guérir la cécité de son père. L’ange apparaît alors à Tobie accompagné de son chien fidèle, il pose sa main sur son bras et indique ainsi de lui faire confiance.
Le dessin porte en bas à droite la marque de collection de Jean-Denis Lempereur (1701-1779) et on le trouve dans son catalogue de vente de 1773. Il a été un peu plus plus tard acquis par Emmerich Joseph, duc de Dalberg (1773-1833) à qui revient le montage de la feuille. La façon étonnante presque « photographique », qu’a Breenbergh de cadrer la composition semble avoir déplu au collectionneur qui a fait, selon l’usage de son temps, agrandir le dessin des deux côtés. Cette modification a toutefois été habilement réalisée comme le montre l’ajout du pied droit de Tobie.
Le dessin figure parmi la centaine de dessins que Dalberg ne céda pas au duc de Hesse-Darmstadt en 1812. Comme Dalberg souhaitait ardemment récupérer, après la dissolution du Saint-Empire germanique par Napoléon en 1806, ses terres ancestrales devenues la propriété du duc, il lui vendit ses précieux dessins conservés pour la plupart aujourd’hui au Hessisches Landesmuseum de Darmstadt.
« Tobie et l’ange » fut accroché vers 1812 sur les cimaises du château de Herrnsheim, demeure principale de Dalberg, située à proximité de la ville de Worms. Le château de Herrnsheim et son contenu furent acquis plus tard par la puissante famille industrielle von Heyl qui présente aujourd’hui ses oeuvres d’art à la Fondation Heylshof à Worms. Longtemps cette collection de dessins est restée inconnue des spécialistes et du grand public bien qu’une ancienne plaque de marbre, à l’entrée du musée, indique bien que les collections du Heylshof possèdent des « Handzeichnungen ». Le mérite revient à Walter Vitzthum d’avoir révélé en 1965 les plus importants dessins de Worms dans Master Drawings. Le dessin de Breenbergh est mentionné dans cet article et n’a pas échappé à Marcel Roethlisberger, auteur du catalogue raisonné de l’artiste.
Alors que les dessins de paysages de Breenbergh figurent parmi les feuilles les plus célèbres du Siècle d’or hollandais, ses études de figures demeurent aujourd’hui beaucoup plus rares et souvent ignorées. La sûreté de la mise en page, la justesse des émotions, des regards et des mouvements confèrent à ce dessin de Breenbergh un aspect profondément sensible et touchant.
Le complément de Bella Maniera :
Membre du conseil d’administration de l’association Bella Maniera, David Mandrella est l’auteur du catalogue raisonné de l’œuvre de Jacob van Loo, il a établi le catalogue des dessins et des peintures hollandaises du musée Condé de Chantilly, puis celui des dessins nordiques de Grenoble. Il vient d’achever à un rythme effréné celui du musée des beaux-arts de Nantes. A noter, qu’il sévit avec le même talent en Allemagne… et se lance dans le catalogue raisonné de l’oeuvre de Nicolaes de Helt Stockade !
David Mandrella