La Gottardo est historienne de l’art diplômée du Courtauld Institute, directrice du département des dessins anciens chez Christie’s, à Paris. Cosmopolite et passionnée, mais pas seulement.
Ketty est aussi aimable que généreuse. En avril dernier, je lui ai fait part de mon désir de travailler quelques mois dans le cabinet des dessins d’un musée américain : elle m’a aussitôt présentée aux conservateurs autour de nous.
On connaît bien le travail de Ketty Gottardo, moins ce qui continue de l’animer.
Te souviens-tu de ta première rencontre avec le dessin ?
En Italie et je pense que c’est pareil en France, j’ai réalisé tout mon cursus universitaire sans que jamais les professeurs ne nous fassent voir de dessins… que des diapos ! A l’université d’Udine, j’ai même passé un examen sur l’histoire du dessin et des techniques graphiques sans que nous ne fassions le déplacement jusqu’à Venise par exemple pour regarder des originaux. De toute façon, l’enseignement de l’histoire de la peinture primait sur celle des dessins, et mon attirance n’allait à ce moment-là que vers les tableaux que je voyais dans les musées, les expositions et les églises avec ou sans mes professeurs. Donc, la démarche d’entrer dans un cabinet des dessins est venue tardivement.
Ma première rencontre avec le dessin s’est réalisée après l’université, lors de mon premier stage au musée du Louvre. J’ai travaillé alors sous la direction du conservateur des dessins Régis Michel, un historien de l’art curieux autant du XIXe siècle que de l’Art Video et l’Art de la Performance. Il travaillait sur l’exposition Posséder et Détruire, pour laquelle je faisais le travail de documentation et recherche sur les dessins selctionnés. C’est à ce moment précis que j’ai commencé à regarder les dessins.
Qu’as-tu découvert avec les dessins pendant cette période ?
Ce que j’aime avec le dessin, c’est la proximité qui s’établit et que permet moins un tableau. Un dessin est vraiment entre tes mains, tu peux le manipuler facilement pour le regarder… il est à toi.
Et justement, parmi les œuvres sélectionnées pour l’exposition Posséder et Détruire, deux m’ont particulièrement impressionnés.
Le premier est une feuille célèbre de Luca Signorelli pour la fresque d’Orvieto : un homme vu de dos qui porte un cadavre sur ses épaules. Il y a quelque chose de très fort, masculin et raide à la fois, comme une sculpture ou plutôt une colonne dans un dessin du fait de la solidité qui s’en dégage. Le tracé est extrêmement délicat… on entre dans le XVIe avec cette feuille.
L’autre œuvre est le Couple enlacé de Géricault à la technique très riche. Tout le contraire du dessin de Signorelli au sujet religieux, destiné à un vaste public. Celui-ci est l’expression d’une scène vécue ou imaginée, mais qui relève toutefois de l’intime.
Voilà ce que j’aime dans le dessin : les opposés !
En parlant d’opposé, dans la vente de Christie’s prévue au mois de mars 2015, il y a une feuille merveilleuse issue de la collection Van Regteren Altena. C’est une tête de Christ représenté les yeux clos, réalisée au pastel et dont l’attribution au Baroche reste à confirmer. Puis en retournant la feuille, on découvre toutes sortes d’esquisses préparatoires à une lunette représentant une scène d’aumône. C’est exactement ce qu’on aime dans les dessins ! La possibilité d’apprécier une étude très achevée et les réflexions de l’artiste jetées sur le papier. Avoir les deux sur un seul support, c’est une spécificité propre au dessin, qui le rend fantastique.
Racontes-moi le J. P. Getty Museum de Los Angeles !
La première année, j’ai réalisé un stage sur un projet déjà dépassé qui s’intitulait le Gernsheim Photographic Corpus of Drawings. Les bases de données des collections des musées accessibles via le net n’existant pas il y a quelques années, un couple de mécènes historiens de l’art avait proposé de photographier le maximum de dessins issus des musées américains et européens, du XVe au XXe siècle. Il fallait cataloguer les photos de milliers de dessins de toutes les écoles !
J’ai travaillé au cabinet des dessins la deuxième année, durant laquelle j’ai étudié les acquisitions puis réalisé une exposition sur la problématique de la figure dans le dessin à Florence à la fin du XVIe siècle. Pontormo, Vasari, Rosso… quarante dessins pour questionner le courant maniériste et son rapport au corps, à l’idée et la représentation du corps.
Après cette expérience américaine, je me suis rendue compte qu’il était important d’obtenir un PhD, aussi, je me suis inscrite au Courtauld Institute à Londres. J’ai adoré car cette institution est entièrement dédiée à l’histoire de l’art. Des cours par d’excellents enseignants pour huit étudiants maximum, avec une grande qualité de suivi. C’est un lieu modeste dans sa taille qui permet de rencontrer régulièrement ton professeur. Contrairement à l’Italie et à la France qui y viennent progressivement, j’ai aussi apprécié la démarche de transversalité des recherches. En partant des œuvres, il s’agissait d’établir des perspectives vers différentes disciplines… J’avais l’impression que le Courtauld faisait le lien entre l’Europe et l’approche américaine de l’histoire de l’art, très interprétative.
A Londres, tu en as profité pour travailler au V&A Museum également ?
Oui, j’étais Assistant Curator au sein du département des peintures et dessins, dans le cadre du programme de cinq ans mis en place par le musée. C’est un excellent programme qui t’implique dans toutes les missions de ton département, puis t’affecte dans un autre la dernière année pour élargir tes connaissances et développer d’autres méthodes de travail. C’est génial, mais je n’ai en pas beaucoup profiter puisqu’à l’issue de la première année, je suis venue travailler à Paris, chez Christie’s !
Quelles différences d’approche du dessin as-tu noté entre les trois musées ?
Je pense qu’il n’y a pas tant de différences que cela car dans le cas d’une étude interprétative, on retombe toujours sur la question de l’attribution. C’est vraiment propre au dessin.
Lors de la préparation d’une vente, quel moment a ta préférence ?
Il y en a plusieurs ! La recherche me plaît toujours, mais elle se réalise souvent dans la précipitation, surtout quand arrive le moment de boucler le catalogue. C’est peut-être l’aspect le plus frustrant que de ne pas pouvoir approfondir une recherche par manque de temps, sauf si le dessin arrive tôt… Puis il y a le cas d’une feuille anonyme que tu réussis à attribuer et la satisfaction est alors grande !
J’apprécie aussi la fabrique de la maquette du catalogue. Mettre en valeur certaines feuilles dans le catalogue permet de mesurer combien l’ensemble est cohérent, c’est un moment rassurant après le stress des mois précédents où tu espères que la vente sera réussie par le nombre de feuilles intéressantes, sans qu’elles soient ravalées. Réaliser la maquette c’est aussi préparer l’accrochage, on arrive à la fin du processus. On peut se dire enfin « la vente se tient ».
Evidemment, il y a aussi la vente elle-même, la valeur que certaines feuilles atteindront etc. Ce n’est pas seulement le respect d’un budget, mais c’est aussi donner de la légitimité à une œuvre, voire un chef-d’œuvre. A l’inverse, je peux être très déçue si j’ai l’impression que les acheteurs ne comprennent pas un dessin. Rien de pire qu’une belle feuille qui reste sur le plateau !
Tu as un souvenir en tête ?
Non, il me faudrait reprendre le dernier catalogue.
C’est bon signe alors, mais je pense à une très belle feuille de Luca Penni…
Oui c’est vrai, c’était une petite déception, parce qu’en dépit de l’état qui n’était pas parfait, c’est un artiste du XVIe siècle lié à l’école française, dont les feuilles sur le marché sont recherchées. Le Christ aux limbes est un beau dessin achevé, interprété au burin par Léon Davent, donc à la composition largement diffusée, il a tout pour séduire. Mais le jour de la vente, le critère de l’état a pris le dessus sur celui de la rareté dans les choix d’acquisitions des collectionneurs et des musées.
Luca Penni (1500-1577), Le Christ aux limbes, pierre noire, plume et encre brune, lavis brun, rehauts de blanc, incisé et piqué pour le transfert, H. 368 ; L. 270 mm, Vente, Paris, Christie’s, 26 mars 2014, n° 57 © Christie’s 2014
Il y a eu l’époustouflante main de Hendrick Goltzius qui a réalisé un beau chiffre cet été ?
Oui, c’est une image célèbre, iconique, provenant d’une collection magnifique !
Etant historienne de l’art et pas journaliste, ainsi que de nature volubile, je nous ai emmenées dans une conversation sur Goltzius (mon héros) : sa créativité qui semble sans limite, la diversité de son œuvre, le dessinateur merveilleux doublé d’un graveur hors-pair… A la fin de cet aparté, il semblait évident qu’en dépit de la fermeture de l’exposition Goltzius en septembre dernier, il fallait aller au Städel Museum de Francfort – un musée que Ketty apprécie beaucoup – découvrir celle sur les dessins de Raphaël à Titien !
On discutait de musées auparavant, dans lequel te sens-tu bien ?
J’aime beaucoup la Dulwich Picture Gallery à Londres. L’environnement est agréable, avec un grand parc, des maisons élégantes aux alentours, puis c’est un musée à mon échelle. C’est-à-dire qu’après avoir eu la chance de visiter des musées dans le monde entier, la Dulwich Picture Gallery me paraît aujourd’hui avoir l’avantage de sa taille modeste. C’est parfait pour admirer les très belles toiles que ce musée conserve. J’ai le même sentiment pour Kenwood House !