La France vue du Grand Siècle : Dessins d’Israël Silvestre

Il faut absolument prendre le temps de voir l’exposition sur Israël Silvestre au Louvre.

D’abord parce que l’institution possède le fonds de dessins de l’artiste le plus important, dans lequel Juliette Trey, conservateur au département des arts graphiques du Louvre et Bénédicte Gady, conservateur au musée des Arts Décoratifs, ont opéré leur sélection.

Ensuite, car une exposition de Bénédicte Gady, qui nous a conviés à une visite des réserves des dessins du Musée des Arts Déco dont elle a désormais la charge (n’insistez pas, c’est malheureusement complet depuis des semaines) est souvent placée sous le signe de l’excellence.

Israël Silvestre et Stefano della Bella, Vue du Palais Cardinal, vers 1649, eau-forte, Paris, musée du Louvre, collection Edmond de Rothschild, 31259 LR
© RMN-Grand Palais – Photo T. Querrec

Silvestre au Louvre

La réussite de l’exposition tient à la solide structure du parcours, la clarté du propos, la variété des 81 œuvres exposées (dessins inédits ou réattributions de premier intérêt, gravures, production de contemporains de Silvestre…), dont vous pourrez trouver le compte rendu détaillé d’une ancienne adhérente de l’association, Johanna Daniel, sur son blog Orion en aéroplane.

Ce que donne à voir l’exposition, c’est le changement d’échelle des œuvres, en tant qu’objets et images. Les Vues des jardins de Vaux-le-Vicomte, les Vues topographiques de l’Est ou les Fêtes à Versailles illustrent parfaitement, chacune dans son registre et sa période, la dimension monumentale du rêve de Louis XIV. Bref, du #dreambig à tous les niveaux : format du papier à dessiner et à graver, taille des plaques de cuivre pour faire voir l’immensité du territoire imaginé par le roi.

De grandes oeuvres qu’il s’agit également d’observer dans le détail car Silvestre sait jouer de l’anecdote.

Mon coup de coeur est allé à la Vue de Metz, ou plutôt les vues de Metz plutôt, car sont juxtaposées la vue dessinée, la plaque incisée par Silvestre et la gravure qui en résulte. Impressionnant !

C’était aussi un grand plaisir de voir la pratique du dessin en amateur mise en avant, sous la forme d’un hommage à Lebrun par Silvestre copié par le Dauphin (oui, pas n’importe qui…) : une des nombreuses réattributions qu’a permis l’exposition.

Dessiner pour graver à grande échelle

Bénédicte Gady connaît parfaitement les problèmes que posent la manipulation et l’exposition d’objets de grande taille, comme elle l’avait décrit au sujet d’une exposition à Barcelone, lors du Forum Bella Maniera, en 2017. Elle s’était confrontée aux immenses cartons de Charles Lebrun qu’il fallait étudier, restaurer et exposer. Idem pour Silvestre mais avec la complicité de Juliette Trey, pour le bonheur des parisiens, y compris ceux de passage.

Toutes deux ont réalisé un catalogue audacieux puisqu’il s’agit de décrire sur un petit format (parfait pour être lu partout) les méthodes de dessinateur et d’étudier la particularité du fonds du Louvre. On y retrouve le parcours chronologique de l’exposition, au sein duquel des thématiques sont insérées et développées dans les notices : la formation, le voyage en Italie, Vaux-le-Vicomte, les fêtes royales, les villes conquises, l’hommage à Le Brun, Meudon et Versailles. Les notices proposent de nombreuses hypothèses passionnantes sur l’attribution, la fonction, le contexte politique, militaire et amical aussi. Car derrière le nom de Silvestre, se dresse celui de Lebrun.

Israël Silvestre, Château de Vaux-le-Vicomte, vue et perspective générale des jardins, vers 1659-1661, plume et encre brune, lavis brun, bleu et vert, rehauts de blanc, Paris, musée du Louvre, inv. 33028 recto
© RMN-Grand Palais – Photo M. Urtado

La grandeur en question

Les textes sont riches de réflexions et références, apportent de nombreuses réponses relatives aux techniques, usages et fonctions, travail collaboratif, culture visuelle… à l’exception de celle la grande échelle qui plane sur toute l’exposition.

La problématique apparaît dès la section sur Vaux-le-Vicomte : “expérimenter la grandeur”, mais l’argumentation reste implicite. Cette grandeur est l’un des facteurs de l’absolutisme incarné par Louis XIV, et on aurait aimé savoir comment elle travaille l’oeuvre de Silvestre : de la manipulation des papiers à dessiner, sans oublier l’adaptation de presses de si grande taille, à la réception et l’usage des gravures par les contemporains de l’artiste.

Il n’y a que Van der Meulen qui s’attelle, comme Silvestre, à de si grands travaux en Europe. D’ailleurs, la confrontation avec les dessins des deux artistes est captivante en ce qu’elle révèle les différences artistiques sur fond de rivalité politique entre ministres. Spectaculaire !

Ajoutons que la grandeur, l’échelle, le monumental et même le “colossal” font l’objet de recherches universitaires, citons les plus récentes :

– Les journées d’études Le colossal en Europe à l’époque moderne. Enjeux et pratiques organisées par Olivier Bonfait, Sébastien Bontemps et Anne Lepoittevin, en décembre 2017.

– La thèse de Sarah Grandin, doctorante à l’université de Harvard, intitulée “To Scale: Manufacturing Grandeur in the Age of Louis XIV”.

Puisque l’exposition du Louvre nous a permis de revoir un bel artiste, on attend avec impatience la parution de l’article de Marianne Grivel : « Éloge d’un graveur paresseux. Israël Silvestre (1621-1691) », in Mélanges en l’honneur de Claude Mignot, sous la direction d’Alexandre Gady, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne.

Bénédicte Gady montrant un détail.
Photo prise par le service de communication du musée du Louvre, avec uniquement des adhérents de l’association (le hasard fait bien les choses). Merci !

Cet article a été réalisé suite à l’invitation du musée du Louvre, à une visite privée et guidée par Bénédicte Gady et Juliette Trey. Qu’elles trouvent ici l’expression de toute mon amitié.

Informations pratiques :

La France vue du Grand Siècle – Dessins d’Israël Silvestre (1621-1691)

Paris, musée du Louvre

Rotonde Sully

15 mars – 25 juin 2018

Commissaires de l’exposition : Bénédicte Gady, musée des Arts décoratifs et Juliette Trey, musée du Louvre.

Catalogue de l’exposition, coédition musée du Louvre éditions / Liénart éditions. 29 €.