Bartolomeo Passerotti : dessinateur et anatomiste

Artiste bolonais de la seconde moitié du XVIe siècle, Bartolomeo Passerotti (1529-1592) est aujourd’hui célèbre pour ses portraits et ses scènes de genre. Il est aussi connu pour sa technique de dessin aux traits de plume parallèles et hachurés.

Selon son contemporain et premier biographe, Raffaello Borghini (1537-1588), Passerotti est l’élève de l’architecte et peintre, Iacopo Vignola (1507-1573). Entre 1551 et 1554, il séjourne avec lui à Rome où il se forme aux modèles antiques et aux oeuvres des maîtres de la génération passée. Des feuilles d’études, conservées dans un carnet de croquis à Sienne, datent de cette période. Parmi ces dessins, notons celui qui représente Des soldats romains et un homme avec un cheval, réalisé peut-être d’après une oeuvre de Polidoro da Caravaggio (v. 1499-v. 1543). Le style de ce dessin effectué avec une plume énergique, courte, courbée et hachurée se retrouve plus tard, autour de 1575, dans une Étude pour le Baptême du Christ, conservée à Oxford.

Bartolomeo Passerotti, Soldats romains et un homme avec un cheval, plume et encre brune, Sienne, Biblioteca Communale degli Intronati, Ms. S.I.V.7, fols. 52v-53r.
Bartolomeo Passerotti, Étude pour le Baptême du Christ, v. 1575, plume et encre brune, H. 347 ; L. 242 mm, Oxford, Ashmolean Museum, inv. WA 1863.66 verso.

Remarqué pour ses qualités de dessinateur par ses contemporains, Pietro Lamo (1560), Ignazio Danti (1583) ou encore Raffaello Borghini (1584), Passerotti est aussi connu pour être un artiste prolixe. Nous comptons aujourd’hui plus de trois-cent-cinquante-cinq dessins autographes. La majorité est réalisée à la plume et à l’encre brune. Seulement une dizaine est effectuée à la sanguine ou à la pierre noire. Dans ses dessins à la plume, Passerotti reprend l’esprit du système du burin auquel il s’est formé durant son second séjour à Rome, entre 1555 et 1557 ou 1560, alors qu’il est en contact avec Taddeo Zuccaro (1529-1566). Le style de ses dessins se définit généralement par une plume contrôlée, un recours aux hachures pour créer les volumes et les effets de lumières. Son tracé cloisonné, un peu anguleux est souvent comparé à celui de Michel-Ange (1475-1564) et de Baccio Bandinelli (1488-1560). Passerotti s’inspire en effet de leur style et des morphologies de leurs figures. Comme ses aînés, il se concentre souvent sur la définition pure et détaillée de la musculature athlétique des corps humains.

La majorité des dessins de Passerotti sont des portraits, des études de compositions et de figures humaines. Nous comptons une trentaine d’études anatomiques de l’artiste. Elle témoigne de son intérêt pour la discipline et de sa filiation avec les grands artistes de la Renaissance. Comme ces-derniers, Passerotti a étudié le corps humain, ses proportions et ses articulations sous différents points de vue. Cet intérêt pour l’anatomie se manifeste, en 1574, lors de son témoignage au procès de son élève Francesco Cavazzoni (1559-1612), où il dit avoir participé à une dissection chez un médecin à Bologne. À la suite de cette expérience, il réalise un recueil d’anatomie, aujourd’hui dispersé. Ce livre nous est connu grâce au témoignage de Raffaello Borghini et aux études anatomiques de Passerotti, encore conservées.

Parmi les dessins anatomiques qui pourraient appartenir au livre, les historiens de l’art s’accordent pour identifier le frontispice comme étant une feuille conservée à la Bibliothèque universitaire de Varsovie.

Ce dessin met en scène une leçon d’anatomie, dans laquelle Passerotti se représente en professeur d’art et d’anatomie au premier plan à droite. Dans un geste de démonstration, il désigne ce que doit étudier l’artiste pour représenter le corps humain : les trois formes du nu, de l’écorché, du squelette et les poses classiques d’inspiration antique. Le drap soulevé à gauche du dessin fait référence à une mise en scène théâtrale et en ce sens aux dénommés “théâtres d’anatomie”, qui se déroulaient, à cette époque, dans les universités. Un autre dessin de Passerotti, représentant une leçon d’anatomie dans un format horizontal et de grande dimension, est conservé au Musée du Louvre. Passerotti illustre ici un panthéon d’artistes italiens du XVIe siècle, rassemblé autour de la figure tutélaire de Michel-Ange, occupé à montrer l’intérieur d’un cadavre.

Tous les dessins liés au livre d’anatomie de Passerotti sont datés du début des années 1580. À cette époque, Passerotti a une position sociale privilégiée, il est un maître d’atelier important, un professeur d’art et d’anatomie. Artiste érudit, il s’inscrit ainsi complètement dans l’environnement scientifique de son époque et participe, avec l’élaboration de son recueil, au développement de la science anatomique qui devient fondamentale en 1570, lors de la création d’une chaire qui lui est dédiée à l’Université de Bologne.

Pour les plus curieux : à propos de ma recherche !

À la suite d’un premier mémoire de Master sur les dessins d’anatomie de Bartolomeo Passerotti, je me suis centrée sur l’étude de son recueil d’anatomie, aujourd’hui dispersé.

J’ai développé des hypothèses sur sa reconstitution, en m’appuyant sur les sources écrites et sur les dessins. L’objectif était d’identifier un ensemble de feuilles homogènes. Pour cela, il a fallu analyser le papier c’est-à-dire les dimensions entre les pontuseaux et les chaînettes, la présence de filigranes, les traces de reliures, puis observer les formats, les mises en page, la technique et le style des dessins. À l’issue de ces recherches, dix feuilles ont été mises en évidence, parmi elles une étude anatomique était encore inédite.

L’ordre des feuilles du recueil a également été proposé sous forme d’hypothèse étant donné que nous ne connaissons sûrement pas l’intégralité. Afin de combler les manques dus au démembrement du livre, j’ai envisagé d’y joindre des études anatomiques de l’atelier et du cercle de Passerotti. Elles constituent ainsi un témoignage relatif à des feuilles perdues ou méconnues du livre. Les esquisses préparatoires de Passerotti représentent d’autres indices sur ce qui devait composer l’ouvrage à l’origine, et font référence à une phase préliminaire, lorsque l’artiste s’est exercé à la représentation, avant l’élaboration de son recueil.

De plus, la spécificité de ma recherche a été liée à la multiplicité des localisations des dessins qui ont été éparpillées dans plusieurs collections en Europe. La question des provenances a donc été un axe important de mon travail. J’ai pu déterminer une origine commune entre deux dessins (ceux conservés à Cambridge et à Varsovie) et proposer des hypothèses pour l’un d’entre eux (celui qui se trouve à Londres).

Enfin, l’étude de la reconstitution m’a amené à analyser les différents types de livres existant au XVIe siècle, à retracer les origines des recueils de modèles et à déterminer leur fonction dans les ateliers.

Pour les plus courageux : à propos du dessin inédit !

Mise en lumière l’année dernière grâce à l’exposition Masterworks from the Museo e Real Bosco di Capodimonte, Naples qui s’est déroulée à Houston, cette étude de pieds de Passerotti a pu faire partie de son livre d’anatomie.

L’artiste s’exerce ici à multiplier le membre pour en étudier les différents aspects de la musculature et de l’ossature, selon les appuis et les mouvements. Les lettres “A” et “B” sont écrites sur quatre pieds. Ces inscriptions sont des marqueurs visuels pour repérer les positions et s’en rappeler en fonction du mouvement. Elles sont également des traces conscientes d’une approche analytique de l’anatomie et indique, en l’absence d’un récit, les parties du corps sur lesquelles l’intérêt de l’artiste se porte.

Un autre dessin, conservé dans une collection particulière, qui pourrait également faire partie du recueil d’anatomie de Passerotti, comporte les mêmes inscriptions. Elles font ici référence à des mesures de proportions et désignent l’articulation entre la partie supérieure et inférieure du corps. Les deux dessins devaient avoir un rôle didactique dans l’atelier de Passerotti.

La dimension pédagogique du recueil de l’artiste est ainsi introduite dès lors que l’on considère la feuille de Varsovie comme étant le frontispice et que l’on envisage la suite avec ces deux études du corps humain.

Si, comme moi, Passerotti et l’anatomie vous passionnent, voici une bibliographie sélective :

Corinna Höper, Bartolomeo Passarotti (1529-1592), 2 vol., Worms, Wernsersche Verlagsgesellschaft, 1987.

Angela Ghirardi, Bartolomeo Passerotti (1529-1592), Rimini, Luisè, 1990.

Monique Kornell, Artists and the study of anatomy in Sixteenth-Century Italy, Thèse de doctorat en philosophie, 2 vol., Londres, Warburg Institute, 1992.

Monique Kornell, « Drawings for Bartolomeo Passarotti’s book of anatomy », in Drawing 1400-1600 Invention and Innovation, Londres, Stuart Currie, 1998, p. 172-188.

Domenico Laurenza, « Art and Anatomy in Renaissance Italy Images from scientific revolutions», The Metropolitan Museum of Art Bulletin, vol. 69, no 3, New York, 2012.