A la découverte du nouveau cabinet d’art graphique de Chantilly

Un nouvel espace entièrement dédié aux arts graphiques a ouvert ses portes au musée Condé

Le samedi 1er avril, les adhérents de Bella Maniera ont eu la chance d’être accueillis par Mathieu Deldicque, conservateur au musée Condé, pour découvrir le nouveau cabinet d’art graphique du château de Chantilly.

L’inauguration de ces salles a difficilement pu échapper aux amateurs de dessins anciens, mais ce retentissement est à la hauteur de l’événement. C’est l’une des principales collections publiques françaises — riche de 4000 dessins, 5000 estampes et 1900 photographies anciennes — qui se voit dotée d’un espace spécifiquement dédié, où l’accrochage se renouvellera au rythme de deux ou trois expositions par an. On peut également saluer ici le couronnement du travail scientifique mené depuis plusieurs années par le musée Condé. Car, si les œuvres ne peuvent quitter le domaine, elles ont fait l’objet d’une politique active de publication, à travers des catalogues annuels. Un travail qui s’est aussi fait en ligne, le fonds de dessins étant entièrement consultable sur la base Joconde.

Un rapide portrait de la collection prouve qu’elle ne dépare en rien la donation concédée par le duc d’Aumale. La plupart des feuilles ont été acquises par ce dernier, le plus souvent lors de son exil anglais, après 1848. Trois ensembles majeurs font donc écho aux goûts de ce prince. Ce sont d’abord les portraits français du XVIe siècle : le duc a pu réunir plus de 366 dessins aux trois crayons des Clouet ou de leur atelier, à la provenance prestigieuse, puisque beaucoup sont issus du cabinet de Catherine de Médicis. Le deuxième fonds d’importance illustre un intérêt pour l’orientalisme : on compte notamment un des sept carnets marocains d’Eugène Delacroix, obtenu à la vente après-décès de l’artiste en 1864, ainsi que des œuvres de Decamps ou Isidore Pils. Enfin — last but not least — viennent les œuvres de la Renaissance italienne, sur lesquelles on aura l’occasion de revenir plus loin, autour d’un noyau de 380 dessins achetés en 1860 à Frédéric Reiset, conservateur des dessins puis des peintures au musée du Louvre.

Du reste, on ne peut manquer de citer les près de cinq cents portraits profilés à l’aquarelle par Carmontelle, acquis par le duc en 1880, véritable fenêtre sur la société aristocratique du Palais-Royal autour de 1760. De plus, la collection s’est enrichie au fil du temps de feuilles des plus grands maîtres — Dürer, Rubens, Watteau — ainsi que de fonds annexes (mais d’une grande qualité). Ainsi des dessins de Poussin, qui seront l’objet d’une prochaine exposition, en septembre 2017. Si l’on considère que s’y ajoutent les collections d’estampes — réunissant entre autres Schongauer, Callot, Claude Mellan, Rembrandt ou encore Géricault — et de photographies anciennes, il est indéniable que ce nouveau cabinet d’arts graphiques promet une programmation des plus alléchantes.

D’ailleurs, les espaces récemment ouverts s’accordent avec cette ambition. Ils ont été aménagés dans cinq salles, jusqu’alors fermées au public : les anciens appartements destinés aux invités du duc d’Aumale situés au rez-de-chaussée du Petit Château. Échappant aux clauses strictes qui régissent les espaces du musée Condé, elles étaient, encore récemment, utilisées comme bureau. Leur réouverture a été précédée d’un chantier de restauration complet et rigoureux, des dalles de marbre aux lambris, sans négliger les dessus-de-porte et la passementerie. La visite a ainsi été l’occasion de découvrir, dans tous les sens du terme, les coulisses de ce projet – dans les moindres détails de sa conception, jusqu’à l’ouverture de quelque porte dérobée d’un cabinet de toilette princier jouxtant les espaces d’exposition.

Il a été question des enjeux de la présentation d’une collection d’arts graphiques dans un espace protégé au titre des monuments historiques : comment respecter l’esprit des lieux tout en concevant un espace modulable au gré des accrochages et capable de répondre aux règles de conservation strictes recommandées pour un médium fragile ? Hors de question par exemple d’installer une climatisation pour maintenir une température et une hygrométrie stables : les caissons climatiques sont intégrés aux cadres, commandés sur mesure aux formats des montages originaux. De même, ce sont aussi sur les cadres que se fixent les cartels, pour éviter de percer les lambris qui habillent les murs. Mais ce sont peut-être les fenêtres qui jouent le plus dans le caractère de ce cabinet. Un store approprié permet d’un côté de filtrer une lumière trop forte — ennemie mortelle des dessins — et, de l’autre, de garder assez de transparence pour laisser deviner la vue sur la volière et le jardin. Le tout, servi par une muséographie sobre et intelligente, conserve ainsi une atmosphère de villégiature intime particulièrement propice à l’appréciation des dessins.

L’exposition inaugurale: Bellini, Michel-Ange, Le Parmesan… L’épanouissement du dessin à la Renaissance

Fra Bartolomeo, Deux personnages discutant et saint Michel brandissant son épée, plume et encre brune sur tracé préparatoire à la mine de plomb, inv. DE47

Nous avons pu en faire l’agréable expérience à travers l’exposition inaugurale, qui permet d’admirer 45 dessins italiens de la Renaissance. Cette sélection ne compte ni les œuvres de Raphaël ou des suiveurs de Léonard, ni celles de Primatice et des Italiens de Fontainebleau – auxquels seront prochainement consacrés des expositions-dossiers – , mais le choix opéré est malgré tout révélateur de la très haute qualité du fonds. Elle est organisée selon un parcours chronologique et géographique, mais qui prend le contre-pied des enchaînements attendus : il chemine du Nord vers le Sud, de la Venise du XVe siècle à la Florence du maniérisme. Le visiteur est accueilli par l’évocation de Mantegna et de Giovanni Bellini, puis fait face à une captivante Tête de Christ dessinée aux trois crayons par Romanino. Ce sont ensuite les maîtres de la Venise triomphante, Titien, Tintoret, Véronèse, Campagnola et Pordenone représenté par une feuille remarquable : au recto, un Saint Martin à cheval, préparatoire à un retable pour San Rocco ; au verso, le cheval est repris par transparence, mais sert cette fois de monture à un cavalier tout profane.

La partie consacrée à l’Italie centrale est dominée par la figure de Parmigianino, avec ses angelots joufflus ou tumultueux, ainsi qu’une belle étude à la plume pour une Vierge à l’Enfant et deux saints agenouillés, esquisse pour un retable ferrarais aujourd’hui à Modène. Dans la première salle florentine, même si un portrait à la sanguine attribué à l’entourage d’Andrea del Sarto attire d’abord les regards, c’est Fra Bartolomeo qui est à l’honneur : deux premières pensées pour le saint Michel du Jugement dernier de l’Ospedale di Santa Maria Nuova, ou une étude de profil pour la Madone de Lucques illustrent son travail préparatoire méthodique, mais plein de finesse.

Parmigianino, Ange soulevant une draperie au-dessus de sa tête, plume et encre brune, rehauts de blanc, inv. DE145.

Enfin, la dernière salle se fait écrin pour un dessin de jeunesse de Michel-Ange, mêlant des nus d’après l’antique et des figures tirées des fresques de Masaccio à Santa Maria del Carmine. L’accrochage, qui fait aussi une place aux dessins d’ornemanistes et de sculpteurs, se termine avec trois puissantes études par Baccio Bandinelli, relégué une fois encore dans l’ombre de son rival.

Michel-Ange, Etudes de figures et de drapés, plume et encre brune, inv. DE35.

Le parcours se prolonge dans les galeries du château, qui accueillent actuellement l’étape renaissante de l’exposition « Heures italiennes », mise en lumière des œuvres italiennes des musées et églises de Picardie.

A l’évidence, Chantilly est plus que jamais une étape incontournable pour les passionnés de dessin. Ils ont jusqu’au 20 août pour voir (ou revoir) ces feuilles transalpines. En attendant l’automne, et Poussin…

Le complément de Bella Maniera :

Après avoir obtenu son diplôme de premier cycle à l’Ecole du Louvre dans la spécialité Histoire de la sculpture, Joëlle Vaissière a soutenu un mémoire de master intitulé « Actio rhétorique et gestuelle théâtrale dans la sculpture française de la première moitié du XVIIIe siècle » sous la direction de Rémi Campos

Dernièrement, elle a rédigé quelques notices dans le catalogue de l’exposition Hubert Robert, un peintre visionnaire (Paris, musée du Louvre, sous la direction de Guillaume Faroult). Elle est également titulaire d’un Master en Lettres classiques et prépare actuellement le concours de conservateur du patrimoine.